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Incipit

Incipit 1

Elle enfouit son visage dans ses mains et resta sans bouger pendant plusieurs minutes. Priscilla l'observait, sans mot dire, en retenant son souffle de peur de l'effaroucher. Elle la sentait si fragile, recroquevillée au fond de son fauteuil, le dos secoué de sanglots muets.
Priscilla ne pouvait détacher son regard de ces doigts osseux refermés sur ce visage émacié. Que lui était-il donc arrivé à cette pensionnaire quasi centenaire, si rieuse d'ordinaire ? Quelle nouvelle épouvantable venait-elle donc d'apprendre pour qu'elle n'ose montrer son visage pourtant si aimable ? 
Priscilla, malgré ses efforts, ne parvenait pas à entrevoir les traits de sa protégée ; elle ne percevait que les tressautements épisodiques de ses maigres épaules et de ténus gémissements. De plus en plus angoissée, la jeune infirmière se décida à rompre le silence :
- Mathilde, s'il vous plaît, dites-moi ce qui ne va pas !
Alors, les vieux doigts ridés s'écartèrent et Priscilla vit pétiller les yeux malicieux de l'aïeule qui lui chevrota d'une voix hilare :
- Ah, je vous ai bien eue, encore, cette fois ! N'est-ce-pas, Priscilla ?

Elle enfouit son visage dans ses mains. Sous ses paupières, ses yeux s'enflammaient. Elle avait besoin d'obscurité et de tranquillité. Elle aspirait au silence le plus total. Mais des mots surgissaient dans sa tête : "connard ! Non mais quel connard !" Des images s'agitaient à l'intérieur de son crâne : des bouches aux lèvres pulpeuses entrouvertes prononçaient des phrases inaudibles : "stop, ça suffit ! Assez, y'en a assez !"
Elle se massa le front, puis les tempes, les arcades sourcilières et le lobe des oreilles. Mais la vision persistait, se modifiait : de longues langues blanchâtres la narguaient maintenant, lui léchant les joues, laissant une bave malodorante sur sa peau délicate.
Ecoeurée, elle se mit à hurler, à gesticuler dans tous les sens, tomba de sa chaise et se fracassa le crâne sur le carrelage de la véranda.



Incipit 2

- Excuse-moi,  je n'ai vraiment pas la tête à ça, ce soir. Je n'ai qu'une envie : c'est de me reposer... en ta compagnie, d'ailleurs, si tu veux bien, ajouta timidement Edouard, à voix basse.
Florence le regardait, l'air rageur. Alors, Édouard répéta, avec un doux sourire :
- Excuse-moi, ma puce, je suis un peu fatigué.
- Non, je ne t'excuse pas, vociféra Florence. J'en ai ras la casquette de ton "excuse-moi" ! tu n'as que ça à la bouche quand je te demande de prendre le temps de discuter de l'avenir de notre couple ! Non, je ne t'excuse pas ! Je ne t'excuse pas, scanda-t-elle furieusement, je t'ACCUSE !
Ce dernier mot explosa comme un boulet dans les oreilles du pauvre Édouard. Florence, stupéfiée de sa trouvaille et fière de son effet, reprit sur un ton plus calme :
- Je ne t'excuse pas, Édouard. je t'accuse. Je t'accuse... je t'ACCUSE ! articula-t-elle.
Puis, soudain, sous l'effet d'une fulgurante inspiration, son débit devint de plus en plus précipité : 
- Je t'accuse d'esquiver sans cesse la communication fructueuse, l'échange constructif, le dialogue productif...
A présent, Florence avait pris un air hagard et sa voix, saccadée allait en crescendo :
- Je t'accuse de me refuser le plaisir verbal, la jouissance syntaxique, la joie des mots qui s'emmêlent, l'ivresse des idées qui s'expriment en toute clarté, l'extase...
Florence n'eut pas le temps de terminer son envolée lubricolyrique, Édouard l'avait plaquée contre le mur et lui chuchotait fiévreusement, au creux du cou :
- Excuse-moi, ma pupuce, je préfèrerais m'étendre, si tu le veux bien... avec toi, évidemment !

- Excuse-moi, mais je trouve que tu y vas un peu fort.
- Comment ça, j'y vais un peu fort ! Tu ne te rends même pas compte qu'il essaie de t'arnaquer. Je te trouve bien naïve.
- Moi, naïve ! Effectivement, j'ai tendance à faire confiance aux gens. Mais là, je n'ai pas l'impression de me faire arnaquer. Et, ce n'est pas une raison pour insulter ce type. Tu t'énerves toujours pour un rien.
- Non mais, réfléchis un peu pauvre gourde, 50 euros pour un vieux blouson en cuir, si ce n'est pas de l'arnaque, c'est quoi alors ?
- Est-ce que tu connais le prix d'un blouson neuf identique ? Hein, dis-le-moi ?
- Non, pas vraiment, mais celui-ci est cradingue et la doublure toute déchirée. Franchement, ce n'est pas une bonne affaire et ce mec est un escroc. Crois-moi.
- Ben voyons, dans ce cas file-moi 200 euros et je m'en achète un flambant neuf...
- Ah, parce qu'en plus maintenant tu veux que je te file du fric. Non mais tu rêves !
- Et pourquoi pas, cela m'éviterait d'écouter tes salades à deux balles et en plus j'aurais les moyens de m'offrir un super blouson. Alors, allonge et qu'on en finisse...
- Qui te dit que j'ai envie de t'offrir un blouson en cuir ? Tu as déjà assez de fringues. Arrête de me faire chier avec ça.
- Je vois, toujours aussi radin...